Quelques dizaines de kilomètres plus tard seulement nous attend une nouvelle surprise. Il s’agit d’un individu posant totalement nu sur le bord de la route. À notre approche, il gesticule frénétiquement comme un sémaphore emballé. On s’arrête à sa hauteur.
 

─ Holà, les vacanciers ! nous apostrophe t-il. Vous n'auriez pas une petite place… je suis un malheureux curé spolié ?
 

Une fois encore, le bas-côté nous réunit : Beauf, Adrienne et moi, curieux, autour de l’escogriffe blême. Arielle, fidèle à son habitude, est restée enfermée.
 

─ C'est quoi cette tenue ! s'exclame Beauf. Vous devriez avoir honte… devant une enfant de huit ans !
 

─ Mais je suis prêtre, mon fils, s'offusque le nudiste.
 

─ Ça n'excuse rien !
 

─ Un prêtre n'est jamais obscène.
 

Arielle se marre dans la voiture, elle n'en perd pas une miette.
 

─ Et vous croyez que je vais ramasser un auto stoppeur dévêtu, prêtre ou autre mystique ?
 

─ J'ai été proprement dévalisé. On a dérobé chaque pierre de mon église, une à une jusqu’au soubassement. Ils ont volé mon lit, ma table, ma soutane !… je suis nu et ne possède plus rien… nada… pas un fifrelin… mais Jésus n'était-il pas aussi démuni ?…
 

─ Pas de sermon, s'il vous plaît ! l'interrompt Beauf. On aurait pu vous tailler les oreilles en pointe que, personnellement, ça me serait égal.
 

─ Il a un gros zizi, intervient Adrienne.
 

Je tousse, et Beauf rugit. Arielle sort la tête, jauge la chose sans retenue.
 

─ Cé vrai, quoi ! continue la fillette, vous avez un plus gros zizi que mon papa.
 

─ Tu la fermes, oui ? gronde Beauf.
 

On entend Arielle qui s'esclaffe. Le curé sourit de ce sourire chagrin, empreint d’amour, que l’on voit sur les enluminures du moyen âge, arboré par de saints personnages compatissant à la douleur des bourreaux occupés à les découper en morceaux dans le but de les convaincre d’abjurer leur foi. Le soleil, à moins que ce soit un mirage, semble lui dessiner une auréole autour de la tête lorsqu’il se penche vers Adrienne.
 

─ Il ne faut pas s'arrêter à ce genre de détail, mon enfant. La valeur d'un homme ne se mesure pas à la longueur de son sexe, qui d'ailleurs est variable selon l'humeur et le moment, mais…
 

─ Allez, on s'en va, coupe Beauf. Trouvez quelqu'un d'autre. Moi, je suis plein.
 

Le prêtre me dévisage.
 

─ Peut-être que Monsieur, qui n'a rien dit…
 

─ Oh, lui, il ne dira rien… il est muet !
 

─ Ça ne l'empêche pas de conduire une belle auto. Je me rends à Mongibet-la-Cascade, ma nouvelle affectation et future paroisse. Je ne vous demande pas de m'y emmener… vous pourriez simplement me rapprocher…
 

J'acquiesce du chef sans hésitation et l'invite à monter dans ma Torpédo. Beauf émet un râle de mécontentement.
 

─ Je vais avec eux ! s'enthousiasme Adrienne.
 

─ Ça va pas, non ! grogne Beauf.
 

─ Papa, laisse-moi aller avec eux, gémit-elle. Il est marrant le curé, et puis j'ai plus mon Azor…
 

Les yeux de Beauf étincellent d'une soudaine malice, phénomène assez peu courant et, par conséquent, remarquable… voire inquiétant.
 

─ D'accord, cède t-il presque trop facilement. Amuse-toi bien.
 

Il réintègre son véhicule, empressé me semble-t-il. Adrienne, le prêtre et moi-même l'imitons et le voyage reprend son cours, un peu moins routinier car je ne suis plus seul.
 

Adrienne est derrière, avec le pilote automatique qui ne sert plus à rien dans cet imbroglio de routes tortueuses. Il profite d'ailleurs outrageusement de la situation pour dormir sans relâche. La fillette a un peu de mal à se faire une place et, finalement, s'installe du bout des fesses au milieu de la banquette. Sa frimousse apparaît entre le prêtre et moi. Elle paraît réjouie.


 


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