Au début nous traversons les vignes. Plusieurs hectares.
— La vigne, c’est mon bien le plus précieux… il faut dire que j’ai de bons coteaux, qui rapportent… mais c’est du boulot ! Et là, sur les hauteurs, tu vois ces châtaigniers ? Dans un mois, il y aura des cèpes à ne plus savoir qu’en faire. Et les champignons, ça pousse tout seul !
Ensuite, les chemins de traverse nous transportent d’un champ à l’autre : maïs, pommes de terre, melons… des ruches aussi, une bonne cinquantaine.
— En cette saison, on récolte les melons… ça donne plein pot, les melons…
Plusieurs kilomètres encore, et nous nous sommes arrêtés car le pilote automatique était malade. Ces routes chaotiques lui retournent l’estomac. Il est sorti prendre l’air tandis que nous l’attendons dans la voiture garée en bordure d’une colline en friches, à l’aspect sauvage.
— Mes terres finissent ici, à Mogok.
J’émets un sifflement admiratif, ou ce qui s’en rapproche le plus avec mes faibles moyens.
— Oui, ça fait beaucoup… Pourtant, ne t’y méprends pas, ça fait surtout beaucoup d’investissement… et beaucoup de besogne. Quant au bénéfice, il est rarement en rapport avec la surface travaillée. La terre, ça eut payé… mais ça paye plus !
Azor dissimule mal une soudaine nervosité. J’en impute de prime abord la faute au pilote qui vomit bruyamment à peu de distance, mais la source de son malaise me paraît plutôt provenir de la colline qu’il nomme Mogok. Il l’évite soigneusement du regard et, lorsque par mégarde, ses yeux viennent à s’y poser, il tressaille comme au contact d’une flamme. Cette réaction attise ma curiosité. J’observe donc attentivement les lieux, pensant y découvrir l’origine de son trouble et, de ce fait, ne prête plus qu’une oreille distraite au discours de mon cousin. Ce que voyant bientôt, icelui me rend la dite oreille, devenue inutile. Il se réfugie dans un silence renfrogné avant de le rompre d’un ton sourd :
— J’évite de cultiver aux environs de Mogok… Mogok porte malheur… cette colline est taboue, on ne doit pas la travailler, ni seulement y poser le pied.
Prévenant ma question informulée, il poursuit :
— Ne me demande pas pourquoi, ne me demande pas comment, c’est ainsi depuis toujours. Mogok doit rester vierge, voilà !
Le pilote est de retour. Il se coule sur le siège arrière et ce moment de distraction permet à mon cousin de discrètement détourner la conversation.
— Tu aimes toujours la pêche ?… Moi, je n’ai plus le temps. Sans compter les crocodiles… ça devient dangereux… et il y a beaucoup moins de poisson, forcément. Faut attendre l’hiver, on les rentre parce qu’ils craignent le froid… Les crocodiles, pas les poissons !... Il s’en échappe toujours quelques uns, certes, mais ceux-là hivernent… Faut pourtant se méfier, on sait jamais.
Je lorgne toujours la colline.
— Mon passe-temps favori maintenant, c’est le billard… le soir après le boulot au village avec les copains…
Brusquement, et dans l’intention certaine de me soustraire à ma fascination :
— Et si on allait voir Dada !
Il a déjà démarré. Le pilote se roule en boule en gémissant, et nous voilà repartis sur les petites routes désertes.
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