6 tatane 136 E.P.
19 heures, l’Arrivée
 
 
 
 
Palot affiche les stigmates glorieux d’un passé millénaire. Ses antiques pierres usées, ridées, rongées, se dorent aux rais déclinants du soleil harassé par une dure journée de labeur. Haut perché, le village en impose. Il trône et, vieux coquet, se pare d’élégants chatoiements.

La Torpédo avale avec voracité les derniers kilomètres. Ils longent le Trouillon, rivière tranquille et dolente qui serpente inlassablement au pied de la localité en aménageant une riante vallée. L’atmosphère aidant, je m’esclaffe. Mais ma gaieté est de courte durée : dans le fossé, une automobile renversée expose au monde un ventre blafard et indécent. Ses roues tournées vers le ciel cherchent avec ténacité un appui improbable.

La Torpédo ralentit, terrorisée. Le volant tremble entre mes mains alors que l’état du macadam en dénie toute responsabilité. J’affermis ma prise, maintiens le cap, mais n’en demeure pas moins excessivement troublé. Le véhicule moribond m’apparaît vide, tristement abandonné. Est-ce un accident ?...  La question me torture l’esprit et je finis par avouer sous l’effet de la douleur mon incompétence à déceler les stigmates pouvant être attribués aux agissements de Bison Ravi. Je poursuis mon chemin. L’énigme n’est pas résolue cependant. D’autant que, plus loin, les débris calcinés d’une caravane jonchent le bas-côté, légendés d’un panneau frustre où l’on peut lire en lettres baveuses :

NON AU TOURISME SAUVAGE

La prudence est de mise. Je précautionne donc, je circonspecte, examine, me défie de tout, me fie à rien, redouble de vigilance, d’attention, multiplie les observations, les interrogations, procède à mille contrôles, je ruse, finasse, feinte… Pour, comme je m’apprêtais à franchir le pont romain qui enjambe le Trouillon et malgré mes efforts, me heurter finalement à un barrage. La tuile !... Au terme de mon voyage !... Trois hommes armés surgissent, trois méchantes tronches à l’œil mauvais. Ils sont fagotés à l’agreste : pantalons de toile grossière, tricots de corps élimés, godillots pesants et crottés. Leur aspect dément un quelconque lien avec la bande organisée et smart de Bison Ravi. Ceux là, en bons autochtones, crachent devant mon capot de gros mollards verdâtres qui adhèrent sans condition au bitume grossier.

─ Halte ! clame l’un.

L’injonction tétanise mes freins. Les individus m’entourent immédiatement d’une attention peu courtoise, en témoigne le canon menaçant d’un fusil pointé dans ma direction.

─ Où allez-vous ? aboie t-on à l’autre bout de l’arme.

Je désigne le village sur sa hauteur. L’homme part d’un grand rire, aussitôt imité par les autres comiques. Mais ils reviennent très vite à leur physionomie initiale et à des sentiments moins affables.

─ Encore un qui joue avec sa vie ! gouaille le premier. Et peut-on savoir ce qui vous attire à Palot, noble seigneur ?

J’exhibe ma bouche en émettant un son caverneux.

─ La faim ? s’étonne et s’interroge mon interlocuteur.

─ Il est muet ! traduit un second particulièrement sagace.

─ Et après ? Muet ou pas, c’est un touriste ! En plus d’être muet, faudrait voir à pas être sourd… et aveugle à nos avertissements…

Le fusil décrit une courbe qui embrasse les terres environnantes plantées de vignes. Elles rougissent de confusion et s’étendent à perte de vue. Ayant déjà perdu la parole, je tiens prudemment mon regard en deçà de la ligne d’horizon. Mon esprit est néanmoins troublé par un élément du décor qu’il négligeât jusqu’ici : un épouvantail… Ou ce qui parait tel… mais se révèle, à l'examen, un corps humain ! Le pauvre hère, cramoisi par l’action du soleil, est immolé sur une croix de bois grossière érigée entre deux rangées de vignes. Il n’est pas seul. Disséminés dans les pampres, d’autres pendouillent, disloquent et canent en silence.



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