7 tatane 136 E.P.
Saint Biribi, taulier
 
 
 
 
 
Un rayon de soleil me taraude l’œil. L’assassin s’infiltre entre le volet et le mur, juste à l’endroit où s’articule le gond. Il arrose le sol d’un jet continu qui alimente et gonfle une nappe de clarté à l’aspect solide tant elle contraste avec la pénombre ambiante. La source lumineuse ne tarissant pas, le niveau monte rapidement, lèche le cadre du lit puis les draps mollement abandonnés, tant maltraités durant la nuit. Elle atteint irrémédiablement le rebord de la couche. Je me pelotonne sous l’oreiller mais la marée galopante s’infiltre et m’aveugle, se moquant parfaitement de mes efforts. Je proteste. Le blasphème rageur issu de ma gorge malade se transforme aussitôt en râle inintelligible.

Contraint à l’éveil, j’entreprends un lent rétablissement vertical autour du pivot de mon fondement. Au terme de l’effort, mes jambes d’une blancheur insoutenable barbotent dans un bain de soleil. La chambre tout entière palpite désormais d’un feu ardent Yeux mi-clos, je palpe l’absence de Jéromine. Saleté de volet !

Mal gré, je traîne les pieds jusque dans la salle de bain où, procédant à mes ablutions quotidiennes et puissamment aidé par le souvenir torride de ma nuit, je m’égaye rapidement. Je ne saurais prétendre si, à mon intention, Jéromine décupla ses ardeurs ou si c’est là son tempérament naturel… bon Dieu, quelle fournaise ! Je m’habille en vitesse, remets un peu d’ordre sur le lit… Lorsque j’ouvre la porte, une voix tonitruante m’accueille :

— Ah, le voilà !

La cuisine est la pièce principale. Spacieuse, elle sert de lieu de vie. On s’y repose, on y travaille, on y reçoit, on y cause, on y mange, on y boit, on y rit… Il y a la cuisine et les chambres. C’est assez ! Le reste : entrée, salon, salle à manger, burlingue, bibliothèque et tout le bazar, ça n’existe pas. A la campagne, foin du superflu.

Je débarque donc dans la cuisine où Azor gueuletonne. Royal, il affronte un jambon colossal, des saucissons en ordre de bataille, des mètres de boudin, une rafale de pâtés, une pyramide de viandes froides, une meule de fromage, un mur de confitures, sans oublier le pain, le vin… et Jéromine au fourneau qui poêle encore une omelette !

Alors, cousin, bien dormi ?

Je crois rêver. À quinze ans, l’animal grignotait une biscotte dans son bol de café, et baste… pour garder la ligne.

Tu as l’air de quelqu’un qui n’a pas dormi son comptant…

Jéromine rit, de son rire clair et cristallin. L’omelette est prête, elle la transfère dans l’assiette de Azor. Une douzaine d’œufs, pas moins.

Viens t’asseoir, me commande-t-elle. Que manges-tu ?

Rien, signifié-je de la main. Mon estomac ne résisterait probablement pas à telle démesure.

Tu n’as pas faim ! s’étonne Azor.

Non, affirmé-je.

Vraiment ? insiste Jéromine.

J’opine encore en me servant un sobre café sans sucre, sous le regard horrifié de mon cousin qui n’en ingurgite pas moins son omelette épaisse comme les œuvres pourtant inachevées de Julien Torma.

Mon vieux, dit-il, si tu te donnes autant d’exercice la nuit et que tu manges si peu le jour, on ne tardera pas à te voir les os à travers !

Je rougis en tournant mon regard vers Jéromine qui ignore l’allusion, ou fait mine de ne pas avoir entendu. Azor se sert un verre de pinard en me gratifiant d’un clin d’œil appuyé.

Jéromine m’a raconté. Qu’est-ce que tu crois, on ne se cache rien ! Paraît que t’as du répondant…

Je me sens devenir pivoine.

Dis-donc, le jour où on mènera le taureau à la saillie, faudra surveiller ton système sanguin. Si tu affiches ce teint de pucelle effarouchée, ça va le rendre furieux !

Son rire sonne. Je baisse le nez sur mon bol de café. Jéromine, secourable, le houspille en me caressant les cheveux d’un geste maternel :

Cesse de l’agacer, il ne peut pas te répondre.

Moi, je pense que si la parole m’était donnée, je ne ferais pas davantage le malin.

C’est vrai, excuse-moi Hubert, mea culpe-t-il. Mais ces choses là sont naturelles par chez nous… on ne détourne pas le regard chaque fois qu’un lapin saute une lapine… sûr que, en ville, y a pas beaucoup de lapins !

Eh bien, fait Jéromine, emmène-le donc voir les lapins…

Dès que nous aurons déjeuné… Mon appétit te surprend, hein ? C’est que je suis levé depuis cinq heures du matin… et j’ai pas chômé, tu peux me croire. En attendant, tu pourrais nous décrire ton métier, j’ai jamais su exactement dans quoi tu bricolais, en ville…

Sûrement, intervient Jéromine, qu’on y travaille moins qu’ici mais qu’on gagne davantage !

C’est un choix. Pourtant, s’il revient, c’est qu’on y est pas si heureux que ça…

Je grogne mon approbation. Puis je brandis l’emballage confisqué à quelques charcutailles, sollicitant de la sorte de quoi procéder à ma démonstration. Jéromine comprend aussitôt :

Tu veux du papier ? Attends, je vais t’en chercher.
 



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